SOE 3739 – réédition dite “sandwiches”

From Me To You / Ask Me Why / I Saw Her Standing There / Please Please Me
Date de sortie probable : début novembre 1964
Matrices :
face A – 7 ARE 2065 21 / M6 227 351
face B – 7 ARE 2066 21 / M6 227 352
 
En rééditant ce E.P. avec une pochette différente (dite « pochette sandwiches »), Odéon a involontairement donné naissance au futur cauchemar des collectionneurs. Ce super 45 tours, quasiment introuvable aujourd’hui, constitue sans nul doute la rareté absolue en ce qui concerne les pressages français des disques des Beatles[1].
Le cliché de la pochette constitue une aimable caricature du mode de vie français. Outre le fait que nos voisins britanniques ne comprennent pas toujours notre goût pour les cuisses de grenouilles, ils   imaginent également que nous sommes particulièrement friands de pain (et en particulier de la traditionnelle baguette)[2]. D’où l’idée de photographier les Beatles en train de déguster des
sandwiches.

La photo fut réalisée à Paris, en janvier 1964, par Dezo Hoffmann (son nom est d’ailleurs crédité sur le rabat inférieur du verso). Plusieurs poses alternatives de cette session ont fait surface au fil du temps. Témoin cette version en noir et blanc reproduite au recto d’une carte postale d’époque d’origine hollandaise.


Ce document nous révèle un détail intéressant : la photo retenue pour figurer au recto de la pochette originale a été reproduite à l’envers !

Le succès obtenu par les Beatles lors de leur passage à l'Olympia début 1964 a incité la compagnie Odéon à rééditer les 5 premiers super 45 tours de son catalogue (SOE 3739 à SOE 3750) afin de profiter commercialement de ce nouvel engouement pour la musique du quatuor anglais.

Si les 4 dernières rééditions ont été mises sur le marché chronologiquement entre avril et octobre 1964, celle du SOE 3739 a vu le jour en novembre 1964 (cf. ci-dessous) alors qu'en toute logique elle aurait dû paraître en tout premier lieu (a priori, au cours du mois de mars).

Cette anomalie a finalement débouché sur un mythe particulièrement tenace en ce qui concerne la date de publication de cette ultime réédition.


Quand cette édition a-t-elle été réellement publiée ?

De nombreuses interrogations et spéculations en tout genre ont longtemps circulé. La théorie la plus communément répandue soutenait que ce disque avait été publié en janvier 1964 durant le séjour des Beatles à l’Olympia[3]. Mais cette affirmation, dénuée de tout fondement, se heurte, au premier chef, à un obstacle matériel évident.

En effet, les Beatles ont séjourné à Paris du 14 janvier au 4 février 1964. De plus, la fameuse photo qui illustre la pochette a été prise au cours du même séjour parisien. De nouvelles informations ont d'ailleurs permis d'établir que le célèbre cliché a, très vraisemblablement, été réalisé le 21 janvier 1964[4].
 
Dans un entrefilet paru en page 21 du quotidien Le Figaro daté du 31 janvier 1964, il est rapporté que la tenue des Beatles (et en particulier celle de George Harrison) a créé quelque émoi au sein des autorités de police :

« Les Beatles ont le cheveu trop long pour porter le képi de gardien de la paix »

Pour les Beatles, la population parisienne est avant tout composée d’agents de police ; depuis leur arrivée, leurs anges gardiens ont sans cesse formé un écran protecteur autour d’eux. Il était donc normal que par reconnaissance et pour les besoins de leur publicité photographique ils aient voulu poser un portrait de famille en utilisant la panoplie du parfait gardien de la paix.
La préfecture de police, interrogée à brûle-pourpoint sur l’endroit où l’on pouvait se procurer des képis, avait répondu fort aimablement. Il n’en coûtait que 23 francs par couvre-chef. Mais, quand il s’est agi des bâtons blancs, le problème s’est compliqué. A la P.P. on avait eu le temps de réfléchir. Et un veto formel fut lancé en haut lieu.
- Il ne semble pas souhaitable, déclare un dignitaire du cabinet préfectoral, que l’uniforme de la police soit associé à la tête ébouriffée des Beatles.
Les twisteurs anglais ont bien pensé subir la coupe de cheveux réglementaire. Mais entre l’emblème de leur succès et le symbole de l’ordre, le choix a été tout de même rapide.


Dès lors, et compte tenu de ce qui précède, on voit mal comment ce disque aurait pu être publié durant le séjour des Beatles à l'Olympia. Le délai était manifestement insuffisant pour mener à bien, à l'époque, le processus de fabrication d’une pochette de disque super 45 tours.

Mais la démarche qui a permis de cerner au plus près la date de sortie de ce EP est celle consistant à faire « parler » la pochette. Car Odéon avait pour habitude, comme d’autres maisons de disques, d’utiliser le verso des pochettes à des fins promotionnelles et de présenter ainsi ses toutes dernières nouveautés. Or, sur ce super 45 tours, l'une des dernières productions mises en exergue est l'album OSX 227 (Dansez Beatles) (dépôt légal du 24 novembre 1964).

Et c’est précisément la présence du 33 tours Dansez Beatles au verso de la réédition du E.P. SOE 3739 qui nous permet d’affirmer que ce dernier a très vraisemblablement vu le jour en novembre 1964.
Qui plus est, la pochette dite « sandwiches » a elle-même été présentée, pour la seule et unique fois, sur la pochette de l’album Les Beatles 65 - OSX 228 (déposé à la Bibliothèque Nationale le 26 janvier 1965).

En conclusion, ce disque n’a pu être publié qu’entre novembre 1964 et janvier 1965. Mais, compte tenu du témoignage précis apporté par un ami collectionneur[5], tout porte à croire que le E.P. dit « sandwiches » a été publié au cours de la première quinzaine de novembre 1964, soit un an après l'édition originale déposée à la Phonothèque Nationale, le 16 octobre 1963. Le label Odéon aurait-il souhaité marquer ainsi le premier anniversaire de la publication du premier disque des Beatles en France[6] ?


Les variantes connues du EP dit « sandwiches » :

Le verso de la pochette est commun aux trois variantes répertoriées ci-dessous.


La mention « DILLARD et Cie. Imp. Paris » est imprimée sur le bord droit du verso (juste au-dessus de la photo du L.P. OSX 227).
Ce détail constitue l’élément déterminant permettant de distinguer la version originale de la réplique décrite plus bas.


q Type 1 : cette première version correspond au label bleu nuit du type 2 de l'édition initiale d'octobre 1963, c’est à dire avec From Me To You et « McCartney-Lennon » sur la même ligne et sans le mot « Standard ».

q Type 2 : cette autre version est encore sur le label bleu-nuit, mais elle correspond cette-fois au type 4 avec   From Me To You et « McCartney-Lennon » superposés[7].

Ainsi que nous l’avons vu précédemment, le E.P. dit « sandwiches » a été publié en novembre 1964. Or, compte tenu de cette dernière date, nous aurions pu nous attendre à trouver dans la pochette un disque pressé exclusivement sur label orange. En effet, la firme Odéon avait, en principe, totalement abandonné l’utilisation du label bleu nuit après la publication du E.P. SOE 3745 en janvier 1964.

Manifestement, la maison de disque s’est simplement contentée, dans un premier temps, de recycler un excédent de stock de pressages sur label bleu-nuit datant de la fin de l'année 1963. Puis  elle a également utilisé un stock d'invendus du label orange :

q Type 3 : on remarque que From Me To You et « McCartney-Lennon » sont superposés et que la référence est précédée du chiffre 7[8].
Cette variante est identique au type 7 de la première édition.


Méfiez-vous des imitations !

Certains exemplaires en parfait état de cette exceptionnelle pièce de collection peuvent atteindre une cote de plusieurs milliers d'euros[9]. De quoi donner le vertige et surtout l'envie à des individus peu scrupuleux d’abuser de la confiance de certains acheteurs !

Deux types de reproduction de la pochette tant convoitée ont principalement circulé dans les bourses aux disques ou sur Ebay[10]. Mais les objectifs poursuivis étaient, dans l’un et l’autre cas, radicalement opposés. C’est ce que vous allez pouvoir apprécier grâce à la description détaillée de chacune de ces reproductions. Ainsi, vous disposerez de toutes les clés utiles afin d’éviter de mauvaises surprises.

La réplique :

Au cours des années 80, un exemplaire vide de la pochette dite « sandwiches » fit une apparition remarquée dans les bourses aux disques[11]. L’objet se négociait pour une valeur comprise entre…10 et 15 € : une aubaine comparée aux sommes particulièrement élevées réclamées en échange d’un exemplaire original !
Pour autant, il ne s’agissait en aucun cas d’une réédition officielle du célèbre E.P.
Il ne s’agissait pas davantage d’une contrefaçon dans la mesure où il n’était pas dans l’intention du ou des concepteurs/vendeurs de tromper la confiance de l’acheteur potentiel.

Quatre indices majeurs permettent de distinguer, rapidement et à coup sûr, cette réplique de la version originale :

q la pochette ne contient aucun disque ;

q le type de carton utilisé pour la fabrication de la réplique est beaucoup moins épais que celui constituant la pochette originale ;

q une tâche brunâtre est visible sur le fond bleu du recto dans la partie supérieure gauche (à hauteur du visage de John Lennon) ;


 
q la mention « DILLARD et Cie. Imp. Paris » n’apparaît plus sur le bord droit du verso.


Ce dernier indice permet d'ailleurs, à lui seul, d’acquérir la certitude que l’on est effectivement en présence d’un exemplaire de la réplique.

La contrefaçon :

Au milieu des années 90, une nouvelle reproduction de la pochette émergea subrepticement. Cela n’avait rien d’étonnant dans la mesure où les intentions de celui ou ceux qui étaient à l’origine de l’opération étaient visiblement inavouables. Et nous n’hésiterons pas à qualifier de tentative d’escroquerie une telle démarche qui déboucha sur la mise en circulation de ladite contrefaçon, principalement sur Ebay.

De toute évidence, une nouvelle pochette avait été imprimée pour l’occasion. Ce faisant, le ou les faussaires s’étaient efforcés de corriger les imperfections de la réplique, espérant sûrement donner au produit un aspect beaucoup plus authentique et, ainsi, mieux « piéger » leurs futures victimes.

À cette fin, ils utilisèrent pour le recto une copie nettement plus propre que celle retenue pour confectionner la réplique (ainsi, la tâche brunâtre disparut).

Puis, ils rétablirent la mention « DILLARD et Cie. Imp. Paris » au verso de la pochette. Malheureusement pour eux, un examen attentif et précis permet d’observer que le positionnement de cette mention n’est pas rigoureusement identique à celui constaté sur la version originale.

Sur la version originale, l’abréviation Cie est décalée à droite par rapport à 1’58 (durée de Please Please Me).

Sur la contrefaçon, l’abréviation Cie est située à juste en dessous de 1’58.

De plus, mus par un curieux excès de perfectionnisme, ces faussaires ont également entrepris de recomposer une partie du verso et plus particulièrement celle relative à la présentation des quatre nouveautés du catalogue Odéon.

    Sur la version originale :


-    les photos ne sont pas d’une netteté absolue ;
-    le cadrage n’est pas parfait : cela est particulièrement visible dans la partie supérieure des trois derniers clichés ;
-    sur la photo du premier E.P. (SOE 3755), le nom du groupe est imprimé en blanc ;
-    sur la photo du L.P. OSX 227, les mentions « dansez » et « avec George Martin et son orchestre » sont imprimées en blanc ;
-    l’espace entre les quatre photos est particulièrement réduit.

    Sur la contrefaçon :


-    les photos sont beaucoup plus nettes que sur l’original et les contrastes sont plus prononcés ;
-    chaque cliché a été correctement recadré ;
-    sur la photo du premier E.P. (SOE 3755), le nom du groupe est imprimé en noir ;
-    sur la photo du L.P. OSX 227, les mentions « dansez » et « avec George Martin et son orchestre » sont imprimées en noir ;
-    l’espace entre les quatre photos est nettement plus large que sur la version originale.

Enfin, cette contrefaçon se caractérise par la présence d’une languette. Malheureusement pour les concepteurs, ils s’inspirèrent de la languette relative à la toute première édition du E.P. SOE 3739, c’est à dire celle arborant la photo d’Angus McBean. En effet, sur cette languette le nom du groupe est précédé de l’article anglais THE. Par contre, sur la languette de la version dite « sandwiches », le nom du groupe est précédé de l’article français LES[12].
Ceci ne constitue nullement une anomalie dans la mesure où cette présentation est parfaitement conforme à la manière dont est imprimé le nom du groupe au recto de chacune des pochettes.


              Languette de la version originale                Languette de la contrefaçon                

Avant d'acquérir un exemplaire de ce disque, nous ne saurions trop vous conseiller de faire preuve de la plus extrême prudence. Dans la mesure du possible, mieux vaut procéder à un examen physique du produit.
Pour les transactions par correspondance, la règle d’or consiste à exiger du vendeur une copie recto/verso de la pochette.


Autre carte postale d'époque s'inspirant de la célèbre pochette :

 

© Jean-Claude HOCQUET


[1]L'absence totale de documentation relative aux tirages effectués par Odéon ne permet pas d'avoir une idée précise du nombre d'exemplaires de ce disque mis sur le marché. Cette réédition a été publiée très tardivement (plus d'un an après l'édition initiale). Dès lors, on peut penser que les acheteurs potentiels n'ont pas été légions dans la mesure où ils s'étaient probablement déjà procuré la première édition fin 1963/début 1964. Dans ces conditions, Odéon n'a sans doute pas jugé utile de multiplier les tirages. Enfin, il n'est pas exclu que certaines quantités d'invendus aient fini au pilon !
Voir aussi l'article intitulé « Odéon 3739 : 4 Paris-Beurre publié sur le site Virtua Beatles Music (virtuabeatlesmusic.blogspot.com)

 [2]Dans son best-seller Les Carnets Du Major Thompson (Paris, Hachette, 1954, p.18), Pierre Daninos donne la parole à l’honorable sujet de Sa Gracieuse Majesté : « By Jove !…Comment définir un Français ? La rituelle définition du Français qui mange du pain, ne connaît pas la géographie et porte la Légion d’honneur n’est pas tout à fait inexacte… ».

[3]
Cette théorie a notamment été exposé dans Olympia Bruno Coquatrix – 50 ans de Music-Hall (Paris, Hors Collection, 2003, chapitre 1964 non paginé) sous la direction de Gilles Verlant : « Postérité anecdotique pour ce show légendaire, le super 45 tours que la maison Odéon produit pour ce spectacle de janvier/février. Celui-ci reprend les quatre titres du premier E.P. du groupe publié dans notre pays (si l’on excepte les enregistrements avec Tony Sheridan). La pochette de ce super 45 tours les montre coiffés de chapeaux très français (un képi de gendarme, une casquette, un béret…) en train de manger des sandwiches. ».

[4]
Cf. article intitulé La photo sandwiches enfin datée dans la rubrique « Chroniques » sur ce même blog.

[5]Un ami collectionneur lyonnais possède un exemplaire annoté d’une date : le 12 novembre 1964. Il est plus que probable que l’acquéreur initial ait souhaité ainsi conserver le souvenir de la date d’achat de ce disque (d’autres personnes, à l’époque, personnalisaient leur exemplaire en y inscrivant leur nom ou en y apposant leur signature, ce qui est le cas de celui acquis par la Bibliothèque Nationale). Cette date du 12/11/1964 constitue donc un indice capital nous permettant de supposer que la sortie de ce disque est intervenue au début du mois de novembre 1964.

[6]
Il se pourrait également qu'Odéon ait souhaité, compte tenu de la proximité des fêtes de Noël, offrir cette réédition en cadeau à des cadres et employés, ainsi qu'à un certain nombre de représentants des médias (presse écrite, radios, télévision) à des fins promotionnelles. Ceci ne constituant qu'une simple hypothèse permettant d'expliquer la rareté de l'objet.

[7]
Elle a été signalée par deux amis collectionneurs quelques temps après la publication de l'édition précédente en 2005. De plus, une troisième version de ce type a été proposée à la vente sur Ebay en juin 2010.

[8]
Contrairement aux deux éditions précédentes sur label bleu nuit, il n'est pas possible, pour le moment, d'affirmer si d’autres exemplaires ont été édités sur des variantes différentes du label orange.

[9]
Aujourd'hui le prix d'un exemplaire en parfait état pourrait vraisemblablement se négocier autour de 10 000 € !

[10]Certaines contrefaçons ont aussi circulé avec un verso totalement différent. Mais il s'agit de faux grossiers : il n'existe aucune variante du verso de cette pochette. Il est donc très aisé de détecter ce type de contrefaçon.

[11]Cette réplique fut fabriquée en 1984 à 450 exemplaires seulement !

[12]Lors de la conception finale de l'édition précédente de 2005, l'illustration de la véritable languette a malheureusement « sauté » au moment de l'impression, laissant seulement apparaître le repère destiné à l'imprimeur (à la page 51). Ce « raté » ne constitue donc pas une variante nouvelle.

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